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La place de l'islam et de Muhammad dans le christianisme

La place de l’islam et de Muhammad dans le christianisme[1]

Enoncé prononcé par Régis close le 27 décembre 2015 à l’occasion de la commémoration commune de Noël et de Mawlid à la salle Amarillis, Place Masui à Bruxelles.

 

« Hors de l’Eglise, pas de salut ! ».
Cette formule exprimait la position de l’Eglise à l’égard des autres religions jusqu’au concile Vatican II (1962-1965). Lorsque celui-ci s’est réuni, son programme ne prévoyait rien au sujet des autres religions hormis le judaïsme. Ce sont les patriarches orientaux qui ont demandé que des textes sur l’islam soient produits parallèlement à ceux sur le judaïsme afin de reconnaitre les valeurs de l’islam. C’est ainsi que deux textes sur l’islam furent élaborés et adoptés par une écrasante majorité.
 
Le premier texte se trouve dans Lumen Gentium n16 (« Lumière des nations : constitution sur l’Eglise) et dit ceci : « mais le dessein de salut enveloppe également ceux qui reconnaissent le Créateur et, en premier lieu, les musulmans, qui, professant avoir la foi d’Abraham, adorent avec nous le Dieu unique et miséricordieux, qui jugera les hommes au dernier jour. »
 
Le second texte traitant de l’islam se situe dans la déclaration Nostra Aetate (« A notre époque » : déclaration sur les religions non-chrétiennes). Le numéro 3 est consacré à l’islam et dit ceci : « L’Église regarde aussi avec estime les musulmans, qui adorent le Dieu un, vivant et subsistant, miséricordieux et tout- puissant, créateur du ciel et de la terre, qui a parlé aux hommes. Ils cherchent à se soumettre de toute leur âme aux décrets de Dieu, même s’ils sont cachés, comme s’est soumis à Dieu Abraham, auquel la foi islamique se réfère volontiers. Bien qu’ils ne reconnaissent pas Jésus comme Dieu, ils le vénèrent comme prophète ; ils honorent sa Mère virginale, Marie, et parfois même l’invoquent avec piété́. De plus, ils attendent le jour du jugement, où Dieu rétribuera tous les hommes ressuscités. Aussi ont-ils en estime la vie morale et rendent- ils un culte à Dieu, surtout par la prière, l’aumône et le jeûne. Si, au cours des siècles, de nombreuses dissensions et inimitiés se sont manifestées entre les chrétiens et les musulmans, le Concile les exhorte à oublier le passé et à s’efforcer sincèrement à la compréhension mutuelle, ainsi qu’à protéger et à promouvoir ensemble, pour tous les hommes, la justice sociale, les valeurs morales, la paix et la liberté́ ».
 
Ce paragraphe est précédé d’un paragraphe sur les religions non-chrétiennes en général. En voici la deuxième partie : « L’Église catholique ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans ces religions. Elle considère avec un respect sincère ces manières d’agir et de vivre, ces règles et ces doctrines qui, quoiqu’elles diffèrent sous bien des rapports de ce qu’elle-même tient et propose, cependant reflètent souvent un rayon de la vérité qui illumine tous les hommes. Toutefois, elle annonce, et elle est tenue d’annoncer sans cesse, le Christ qui est « la voie, la vérité et la vie » (Jn 14, 6), dans lequel les hommes doivent trouver la plénitude de la vie religieuse et dans lequel Dieu s’est réconcilié toutes choses (2 Cor 5, 18-19). Elle exhorte donc ses fils pour que, avec prudence et charité, par le dialogue et par la collaboration avec les adeptes d’autres religions, et tout en témoignant de la foi et de la vie chrétiennes, ils reconnaissent, préservent et fassent progresser les valeurs spirituelles, morales et socio-culturelles qui se trouvent en eux. »
 
Le texte invite tout d’abord à oublier le passé et appelle à la collaboration entre croyant. Il y a donc un pas supplémentaire par rapport au dialogue qui peut être vu comme un face-à-face tandis que la collaboration est un côte à côte, une action commune en vue d’un même horizon au nom de notre foi en Dieu et pour le bien de l’humanité.
 
C’est la première fois, au niveau du Magistère de l’Eglise, qu’un texte reconnaît qu’il y a des parcelles de vérités dans les autres religions. Si l’Eglise encourage le dialogue interreligieux, ce n’est pas par esprit de tolérance ou parce que l’expression de « hors de l’Eglise, point de salut » est moins rigoureuse. Le dialogue interreligieux se fonde théologiquement soit dans l’origine commune de tous les êtres humains créés à l’image de Dieu, soit dans le destin commun qui est la plénitude de la vie en Dieu, soit dans la présence active de l’Esprit Saint parmi les adeptes d’autres traditions religieuses (Commission Théologique Internationale, 1997, n.25)
 
Un des acquis les plus significatifs du concile Vatican II est sans doute le regard bienveillant qu’il porta sur les religions et leurs adeptes (Nostra Aetate, n. 2 cité ci-dessus) et l’invitation, adressée aux chrétiens et aux musulmans, à « oublier le passé » et « à s’efforcer sincèrement à la compréhension mutuelle » en vue de protéger et de promouvoir ensemble, la justice sociale, la paix, les valeurs morales et la liberté et ceci « pour tous » (Nostra Aetate n.3)
 
Comment définir ce dialogue interreligieux ? Il n’est pas une conversation entre amis et il n’a pas pour but de créer une « religion mondiale » satisfaisant tout le monde. Plus positivement, il a pour but de créer un espace pour un témoignage entre croyants qui permette une connaissance de la religion de l’autre et des comportements éthiques qui en découlent. Dans ce dialogue interreligieux, le dialogue avec l’islam occupe une place privilégiée qui s’explique par des motifs théologiques. En effet l’islam est le troisième monothéisme abrahamique.
 
Tout en « acceptant » l’islam dans la famille d’Abraham, il semblerait que nous ne pouvons pas pour autant parler de « révélation islamique », car l’islam qui adopte le monothéisme juif, nie farouchement celui chrétien, le mystère trinitaire et les autres mystères qui ont Jésus en leur centre : l’Incarnation et le mystère pascal de passion, mort et résurrection. Jean-Paul II a résumé les différences théologiques entre chrétiens et musulmans en ces termes : « La loyauté́ exige [aussi] que nous reconnaissions et respections nos différences. La plus fondamentale est évidemment le regard que nous portons sur la personne et œuvre de Jésus de Nazareth. [...] pour les chrétiens, ce Jésus les fait entrer dans une connaissance intime du mystère de Dieu et dans une communion filiale à ses dons, si bien qu’ils le reconnaissent et le proclament Seigneur et Sauveur. Ce sont là des différences importantes, que nous pouvons accepter avec humilité́ et respect » (Rencontre avec les jeunes musulmans à Casablanca, 19 août 1985). D’autre part, la révélation du Christ (celle qu’il fait et qui est en même temps révélation de lui-même) est, pour le chrétien, la parole finale de Dieu à l’humanité.
 
Cela étant dit, la révélation doit être lue dans le champ de déploiement de l’alliance, alliance qui est la matrice de la révélation de Dieu et de la transfiguration de l’homme (et qui définit la relation entre Dieu et les hommes). C’est dans le cadre de cette alliance que je propose de situer la place de l’islam dans le christianisme.
 
La Bible est le récit des alliances nouées successivement par Dieu avec les hommes. Les alliances adamique et noachique ont un caractère universel. L’alliance abrahamique est d’une autre forme, constitutive de la conscience historique et religieuse des trois traditions juive, chrétienne et musulmane. Cette alliance singulière ne remplace pas la dimension universelle de la rencontre de Dieu avec les hommes mais ouvre un nouveau chemin dans cette même relation. L’alliance abrahamique constitue un catalyseur déposé au sein de l’alliance adamo-noachique. Pour illuster cela, prenons l’image d’un arbre représentant la relation de Dieu avec l’humanité. De la greffe abrahamique sortira une nouvelle branche  avec Moïse qui donnera ses fruits de grâce dans le cadre de la religion juive et de son histoire propre. Comme le rappelle le concile Vatican II, la foi monothéiste des musulmans s’inscrit dans l’alliance abrahamique. Il est même juste de dire que le message coranique dans son noyau central s’apparente à la foi abrahamique plus que ne le sont le judaisme et le christianisme. La raison étant que judaisme et christianisme s’inscrivent dans l’allinace à travers de nouvelles révélations, apportant des développements à la foi d’Abraham tandis que le message théologique de l’islam reste très proche de la foi abrahamique se considérant comme un rappel et une invitation à la retrouver dans son originalité. Nous pouvons dire que pour l’islam, Abraham est le modèle des croyants alors que pour le christianisme, Abraham est leur père dans la foi.
 
Pour reprendre l’image de l’arbre, l’islam est-il une nouvelle branche de la greffe abrahamique dans l’arbre du salut sept siècles après Jésus-Christ ? Ou quelle est du point de vue chrétien la place de l’islam dans le plan de Dieu ?
 
L’islam représente une branche spécifique qui pousse à partir de la greffe abrahamique. Pour reprendre Claude Geffré, « il y a une spécificité irréductible de l’ismaélisme de l’islam.
 
Le christianisme peut reconnaitre une révélation dans le Coran et une dimension prophétique dans le message muhammadien pour autant que cette reconnaissance reste tributaire de la conception chrétienne de l’histoire du salut. En d’autres termes, le chrétien ne peut interpréter la place de l’islam dans l’histoire du salut qu’à la lumière du mystère de Jésus-Christ, sauveur universel t plénitude de la révélation de Dieu pour les hommes. La clé d’interprétation de cette question se trouve dans la conception du temps.
 
Jésus-Christ est la plénitude de la révélation et l’accomplissement du dessein divin non pas sur le plan quantitatif et chronologique mais plutôt sur le plan qualitatif et eschatologique. Par conséquent le fait que l’islam soit venu dans l’histoire après le christianisme ne change en rien le rapport du chrétien à cette religion car ce rapport est eschatologique et non chronologique. Le chrétien peut reconnaitre le caractère prophétique de Muhammad et du message coranique dans la mesure où ils sont inscrits dans l’alliance abrahamique qui n’a rien de contradictoire en soi avec la révélation de Jésus-Christ. Autrement dit, même si l’islam est postérieur au christianisme dans l’histoire, il est perçu théologiquement, dans le plan de l’alliance, comme antérieur à lui. L’islma constituerait ainsi pour le christianisme une sorte de prophétie permanente qui rappelle aux chrétiens la base abrahamique de leur foi.
 
Ceci appelle les chrétiens à rester, non sans difficultés, dans l’adoration et la méditation du mystère de Dieu un, le Dieu d’Abrahaùm et des pères qu’ils invoquent.

Régis Close

Sources :

-          Cardinal Tauran « Vision chrétienne des relations entre chrétiens et musulmans », discours à Versailles le 14 septembre 2014

-          Fadi Daou et Nayla Tabbara, « L’hospitalité divine. L’autre dans le dialogue des théologies chrétienne et musulmane », Lit-verlag, Auflage, 2014

 

 


[1] L’intégralité des textes de Vatican II cités dans l’exposé sont consultables sur http://www.vatican.va/archive/hist_councils/ii_vatican_council/index_fr.htm

 

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