https://elkalima.be:443/nouvelles/les-reseaux-sociaux-bruissent-dindignations-de-condamnations-de-ce-meurtre-abject-exprimees-par-des-musulman-e-s-anonymes-ou-connu-e-s-michael-privot/

Les réseaux sociaux bruissent d’indignations, de condamnations de ce meurtre abject, exprimées par des musulman-e-s, anonymes ou connu-e-s |Michael Privot

Il y a 3 jours, j’étais à Valentigney, dans l’agglomération de Montbéliard, pour évoquer avec plusieurs centaines de lycéen-ne-s et d’adultes, la question de la radicalisation. Lors d’une séance débat qui suivait la très belle pièce de théâtre “Vague à Larmes”, j’ai été à nouveau interpellé: “pourquoi faire appel à un islamologue?”, sous-entendu que cela entretient la stigmatisation des musulman-e-s.

Une partie de ma réponse a consisté à dire que les attentats qui secouent nos états ces dernières années ne sont pas commis par des bouddhistes ou des disciples de Krishna, mais bien par des gens qui se revendiquent de l’islam, même si l’on doit rester attentif à la montée en puissance d’actes de violence et d’attentats par d’autres formes d’extrémisme dans nos sociétés.

Il y a une réalité objective, encore rappelée par l’attentat commis par un jeune Pakistanais il y a trois semaines.

J’ai précisé que peu avait été fait, depuis 2015, pour travailler sur les causes de ce phénomènes. Si certaines dépendent de la société dans son ensemble (renforcer la participation démocratique, réduire les inégalités patentes dans nos sociétés, recréer un horizon de progrès commun, un désir et un imaginaire de “faire ensemble” société), d’autres dépendent prioritairement des musulman-e-s, voire relèvent de leur seule responsabilité collective, ce que je martèle depuis des années, avec quelques coreligionnaires, souvent à contre-courant.

Lors de ma réponse, j’avais en tête cette vidéo qui a circulé dans les réseaux musulmans et que j’avais reçue mercredi soir cette semaine, juste avant mes interventions – où l’on voyait l’appel par le père d’une jeune élève de monsieur Paty, d’un imâm qui n’a pas hésité à plusieurs reprises à le qualifier de voyou en diffusant de fausses informations à son égard. Tous ces gens qui ont monté cette vidéo, tous ces gens qui l’on diffusée largement, mettant, une fois de plus, le feu à la plaine, en jouant sur la corde identitariste, la désinformation et la victimisation, ont une responsabilité dans l’horrible assassinat de ce prof qui faisait son devoir: éveiller ses élèves au sens critique, s’interroger sur les questions de société, s’équiper à être confronté-e à des opinions qui nous déplaisent…

Il n’a pas demandé à devenir un héros de la liberté d’expression, il faisait juste son travail. Comme ses collègues, comme mes collègues chercheurs et chercheuses, artistes, écrivain-e-s, nous qui remettons en question la vulgate islamique d’un prophète devenu plus sacré que Dieu au point qu’il soit considéré licite, par certain-e-s, de faire couler le sang pour “le” défendre, alors que le Coran lui-même, auquel il-elle-s prétendent croire, n’incite à rien si ce n’est à passer son chemin face à l’insulte.

Mes ami-e-s et collègues qui nous nous engageons sur le chemin de la critique de cette vulgate, qui nous faisons excommunier par certains imams, nous savons que nous prenons un risque mesuré, car un-e déséquilibré-e peut nous frapper n’importe où, mais un-e prof. qui fait un travail d’éducation à l’intelligence critique ne devrait pas avoir à faire ce genre de calcul, mais juste son travail, à l’abri des pressions en tous genres.

La responsabilité du leadership musulman est écrasante dans ce drame et ceux qui ont précédé, mais aussi celle des petites mains qui relayent complaisamment des incitations à la division en jouant la victimisation: il est plus facile de crier à l’islamophobie que de travailler sa théologie, transformer sa religion pour faire comprendre à nos coreligionnaires – pour qui l’islam est devenu plus une identité totalitaire et aliénante qu’une spiritualité – que leur liberté d’être musulman-e est concomitante à et indissociable de la liberté d’autres de critiquer, d’enseigner l’esprit critique et la distanciation, de blasphémer. Il est plus facile de crier au loup, que de trouver un chemin nouveau pour “ses moutons”.

La responsabilité du leadership musulman est écrasante car elle continue, aujourd’hui encore au nom “ce n’est pas l’islam”, à refuser de voir comment la plupart des oulémas de l’islam classique ont travaillé à donner aux musulman-e-s les outils pour les transformer en une horde vengeresse, à coup d’abrogation de versets du Coran (typiquement: le verset de l’épée abrogerait TOUT le Coran, ou encore que tout qui insulterait le prophète mériterait la mort), de telle sorte que les djihadistes n’ont qu’à se baisser pour collecter les arguments pour justifier leurs actions et revendiquer d’être le cœur battant du sunnisme, voire de l’islam tout court.

Comme la plupart des leaders religieux en Europe se contentent de petits sermons sur la prière et les mille façon de ne pas rompre son ramadan, ils ne connaissent pas leur tradition et sont en incapacité de répondre au défi de cette violence, car aussi incapable de porter un regard critique sur leur propre histoire, depuis Muhammad jusqu’à aujourd’hui. Incapables d’analyser les conditions de production de ce à quoi ils croient, ils sont fatalement incapables de les mettre à distance, de les retravailler pour produire de l’intelligence pour aujourd’hui.

La responsabilité du leadership musulman est écrasante car elle refuse de voir que la façon dont elle a transmis l’islam ces dernières décennies est aliénante, déstabilisante, qu’elle atteint la psyché individuelle et collective en profondeur – soit en générant des troubles psychologiques (pour ne pas dire psychiatriques) chez un certain nombre de ses disciples, soit en catalysant des troubles préexistants chez un certain nombre de personnes. L’islam qu’ils ont enseigné repose sur la trouille de l’enfer, la vengeance, la punition, cultive la dissonance identitaire et cognitive avec son environnement sociétal, voire familial, encourage aux comportements de rupture, de sécession, entretient des confusions de loyautés et empêche l’harmonie avec tout ce qui lui est construit comme étranger.

Or, cet étranger, en Europe, c’est le tout proche, c’est soi-même – nourrissant des conflits internes puissamment problématiques.

En tant que leader, quand on a un auditoire aussi fragile, on redouble de précautions, on apaise, on n’appelle pas à la vindicte, ni à la victimisation identitariste. Mais leur logiciel ne leur permet pas de faire ce travail, trop occupés qu’ils sont à tirer les rentes pécuniaires, symboliques et culturelles de ce logiciel qui, pour un certain nombre, est leur seule raison d’exister.

Je me réjouis du nombre grandissant d’initiatives par des musulman-e-s de tout bord, pour se réapproprier leur “islam”, refuser cette fatalité. Avec d’autres, j’ai le privilège de contribuer modestement à cet effort, et je continuerai tant que le Seigneur m’offrira la vie pour le faire – car nous gagnerons, inéluctablement, mais nous pleurerons encore bien des morts injustes, des attentats, des assassinats au nom d’un islam d’un autre temps, déconnecté du monde, du réel, un fantasme mortifère qui cherche à nous entrainer vers une confrontation qui n’a pas lieu d’être.

Je suis heureux de voir que les réseaux sociaux bruissent d’indignations, de condamnations de ce meurtre abject, exprimées par des musulman-e-s, anonymes ou connu-e-s. Si vous ne les voyez pas, questionnez-vous quant à vos réseaux et à qui vous connaissez dans cette société. Un signe à sortir de son isolement et à s’engager, plus que jamais, dans le “faire ensemble”.

Ces voix musulmanes finiront par noyer ces autres voix musulmanes, toxiques, qui incitent à “les laisser pleurer leurs morts, qui ne nous concernent pas”. Je revendique que ces morts nous concernent, bien au contraire.

Car ces victimes sont les nôtres, nous sommes dans le même bateau, nous sommes uni-e-s. Et nous allons reprendre possession de l’islam, l’arracher des mains de ceux et celles qui veulent en faire un bréviaire de haine à l’encontre de toutes celles et ceux qui ne leur ressemblent pas.

Et ça commence par de petits gestes: s’indigner de qui est fait au nom de “l’islam”, dénoncer ces visions mortifères, vaincre ses peurs, sortir de sa solitude pour se rendre compte que nous sommes nombreux-euses à refuser ce hold-up permanent de notre religion, ne pas diffuser certains messages incitant à la victimisation et au repli sur soi, se donner le droit de suivre sa propre voie, fondée sur le bon sens, l’esprit critique et la bienveillance et le respect. C’est à nous de nous réapproprier l’islam selon nos termes. Personne ne le fera à notre place.

Source: texte de Michael Privot, publié sur son compte facebook le 18 oct. 2020.

[print-me]

Comments are closed.